Après des années passées à ne voir le Val d’Argenteuil, quartier de mon enfance, qu’au travers de la vitre du train, j’ai eu l’occasion d’y retourner plus souvent ces derniers temps. La période sombre durant laquelle on a laissé Le Val se dégrader semble passée et il subit depuis quelques années une mutation qui me fascine et m’oblige, dans le même temps, à faire l’inventaire — et le deuil — de ce qui n’aura pas perduré. Je regrette certaines choses plus que d’autres : La fleur dans la cité de Roland Brice, les bassins de la dalle et le café-restaurant Le Pub, La Coque et le bassin de La Bérionne, les bancs et les sièges d’extérieur en béton moulé… Les premières fois que j’y suis retournée, j’ai vraiment regretté de ne pas avoir d’appareil photo pour conserver une trace de cette mutation et des derniers vestiges de l’âge d’or que fût pour le quartier la période des années 70.
Malgré la mauvaise réputation — surfaite en vérité, les médias n’hésitant jamais à verser dans la caricature — qu’on acquis avec le temps les grands ensembles du fait de leur paupérisation, la ZUP du Val d’Argenteuil était un quartier très agréable à vivre à ses débuts et je n’ai jamais eu le sentiment d’habiter un endroit laid, bien au contraire. Je me souviens encore de l’éblouissement en découvrant notre nouvel appartement : nous avions quitté deux pièces minuscules (cuisine et chambre commune), sans salle de bain, avec les WC à la turque au fond de la cour pour un grand logement illuminé par de larges fenêtres, avec un séjour attenant à la cuisine, une salle de bain et des WC séparés, trois grandes chambres ! Dehors un parc immense où l’on pouvait jouer en toute sécurité, les écoles et les commerces à quelques pas de là… On réalise mal aujourd’hui à quel point le contexte de crise du logement d’alors (rareté et vétusté) avait rendu la construction de telles cité nécessaire et urgente. Celle-ci a été construite dans les années 60 sous la direction de Roland Dubrulle, avec la collaborations d’autres architectes et notamment de son fils, Richard Dubrulle, qui travailla une vingtaine d’années à Argenteuil. À noter que la maquette du quartier récolta un 1er prix d’architecture à l’exposition internationale d’Osaka en 1970 (voir la fiche Dubrulle sur le site de la cité de l’architecture et du patrimoine).
La gare du Val (1) conçue par Richard Dubrulle et construite en 1970, délicieusement futuriste, semblable à un vaisseau spatial qu’on aurait posé sur le pont qui passe au dessus de la voie ferrée (2). J’espère qu’elle sera préservée et repeinte à l’identique. Du coté nord du pont, une vue dégagée sur l’ esplanade de la gare (3) récemment élargie et réaménagée, qui donne sur le nouveau lycée et l’ancien garage Renault réhabilité en mosquée. Du coté sud, un terrain vague là où s’est dressé pendant de longues années un immeuble de bureaux qui m’a toujours semblé assez désert… En attendant les futurs travaux, la nature s’installe et un petit lac s’est même créé dans ce qui fût probablement le parking souterrain de l’immeuble en question (4). De l’autre coté, le récent IUT (5), plein de promesses futuristes lui aussi, même s’il s’agit d’un tout autre futur que celui qu’on imaginait possible à l’époque où fût construite la gare. Et puis à ses cotés les pauvres ruines des quelques commerces déchus qui vivotèrent jadis sur ce morceau de dalle sud qui n’a jamais vraiment réussi à être attractif (6).
En cherchant des images d’archive du Val, je suis tombée sur le site absolument passionnant d’un collectionneur de cartes postales d’architecture moderne. Depuis, je dévore son blog qui est une mine : archipostcard.blogspot.com. Ci-dessus, une des pièces de sa collection où l’on peut voir la gare du Val.
Retour vers la ZUP nord, je pousse la ballade jusqu’à mon ancien quartier. Beaucoup de chantiers qui donnent un petit coté fin du monde (1) en attendant d’être achevés, notamment la maternelle de La Bérionne où mon frère et moi avons été scolarisés mais également le parc face à la cité de l’Écureuil, où nous avons grandi (2). Il reste peu de choses de ce que j’ai connu : des sillons tracés par les pas dans le gazon (3) et qui témoignent d’itinéraires nécessaires bien qu’ils n’aient pas été prévus par le dessin initial du parc, quelques grands arbres dont tout indique qu’ils seront épargnés et une pente qui nous semblait terriblement abrupte lorsque nous étions enfants, au point que nous la nommions La Côte (4) et que la dévaler en patins à roulettes ou en skate était l’épreuve de courage ultime… J’ai été très surprise, devenue adulte, de constater sa faible inclinaison :-) Mais du parc de mon enfance, rien de plus : ni les buissons dans lesquels nous nous planquions, ni le bac à sable, ni les grosses pierres décoratives sur lesquelles nous grimpions et que nous appelions le cheval et le chariot, ni le bassin et sa Coque, remplacés depuis longtemps par une de ces structures dont on équipe maintenant les aires de jeux, pas même le tunnel qui reliait ma cité à celle d’en face, encore là lors de mon précédent passage mais qui vient d’être comblé (5). Ce tunnel marquait pour nous le passage au collège puisque nous devions l’emprunter pour nous y rendre. Avant ça, nos mères nous défendaient de le traverser (tout simplement pour que nous ne nous éloignions pas et qu’elles puissent nous avoir à l’œil depuis les fenêtres de l’immeuble) aussi les pires rumeurs couraient sur ce qui pouvait arriver à ceux qui franchissaient cette limite symbolique. On racontait notamment que des garçons étaient perchés au dessus de la sortie et vous crachaient dessus. La cité d’en face a connu bien des transformations aussi mais en poursuivant un peu plus loin mon chemin, j’ai retrouvé dans la cité où vivait ma copine Sylvie, un autre tunnel, plus petit celui-là, qui servait surtout à l’écoulement des eaux de pluie mais surplombé d’un simulacre de pont (6). Ces aménagements donnaient leur caractère aux lieux et offraient matière à notre imaginaire sans le figer, me semble-t-il, contrairement aux structures de jeux telles qu’on en trouve désormais partout et sur lesquelles je n’aurais sans doute rien à redire si elles n’étaient si semblables les unes aux autres et n’indiquaient, par leur forme même qui impose des usages identifiés (même si je ne doute pas que les enfants parviennent à les détourner) qu’on cherche désormais à encadrer et à rentabiliser le jeu au profit du développement moteur plutôt que de l’imaginaire.
Ici une photo du bassin et de la sculpture qui faisaient tout le charme de ma cité. Le fond du bassin était orné de motifs psychédéliques dans des teintes turquoises, jaunes et orangées. Il n’a que très rarement été rempli d’eau comme sur la photo mais même vide, c’était un super terrain de jeux (mer, planète étrange, patinoire lorsqu’il y avait un fond d’eau gelée). Quand à la grande sculpture, elle était de couleur jaune. On pouvait se hisser à l’intérieur et grimper le long d’une des parois puis en redescendre en glissant. C’était à la fois un toboggan, un navire, une maison, un vaisseau spatial… Elle avait peut-être un autre nom mais nous l’appelions La Coque. J’ai cherché en vain sur Internet une image d’archive de ce monument de mon enfance. Heureuse coïncidence, le lendemain, en rendant visite à ma copine Myriam, je suis tombée sur cette photo dans un livre sur Argenteuil qu’on venait juste de lui prêter.
Avec le recul, le reproche qu’on peut faire à ce genre d’urbanisme, c’est de n’avoir proposé qu’un seul type de logement : l’appartement dans une grande structure collective. Pas de petits immeubles (même si le système d’escaliers des barres permettait une gestion de la cohabitation un peu différente que dans les tours), pas de maisons individuelles… Pourtant, le désir de la petite maison avec un bout de jardin est si présent qu’on a tenté de le combler avec des jardins ouvriers, ou encore ces mosaïques de briques représentant un ensemble de maisonnettes qui ornent certaines des façades aveugles des grandes barres (1). Dans les faits, dès que quelqu’un avait les moyens de réaliser ce rêve, il n’avait d’autre choix que de quitter le quartier et ça a probablement été un des facteurs de délitement de la mixité sociale, même si ça n’explique pas tout. Il y a 5 ou 6 ans, le collège Claude Monet, où j’ai fait ma scolarité, a été reconstruit (2) là où se trouvait auparavant un stade. Lorsque le chantier a été terminé, on a rasé les anciens bâtiments du collège, un genre de Pailleron complété de préfabriqués, tombés dans un tel état de décrépitude que personne n’en aura le regret. À la place ont été construits des pavillons (3) et des petits immeubles (4), pas trop vilains d’ailleurs, dont on sent qu’ils sont là pour insuffler un certain « standing » au quartier, même si je déplore qu’ils soient clôturés pas des grilles… J’imagine, tout en voyant les effets pervers, que c’est un mal nécessaire pour convaincre les gens de venir habiter le quartier, donner une impression de « sécurité » (mais enfermer, est-ce vraiment protéger ?). D’ailleurs je constate que ce dispositif qui consiste à mettre des barrières devant les immeubles fait presque systématiquement partie de leur réhabilitation (5 et 6).
Tous les commerces de la ZUP Nord sont regroupés sur La Dalle. Une partie des habitations donne également sur cette immense parvis de béton surélevé, entièrement piétonnier. Lorsque j’étais enfant, c’était un lieu extrêmement vivant où les commerces abondaient : boulangeries, cafés-restaurants, boucheries, salons de coiffure, librairies, pressing, primeur… mais aussi une supérette Franprix et un supermarché Mammouth, ou plus essentiel encore pour nous qui étions des enfants, le magasin de jouet La Mômerie. Les services publics n’étaient pas en reste : bibliothèque, crèche, centre de santé, sécurité sociale, commissariat, etc. Avec la paupérisation du quartier, les commerces se sont raréfiés et aujourd’hui, la surface de La Dalle a été réduite. Les accès ont été adoucis pour qu’elle s’intègre aux différents lieux du quarties qu’elle relie et son cœur a été réaménagé (1). Le reste est encore en travaux et ce qui frappe désormais, c’est le décalage entre ce qui a été réhabilité et ce qui attend de l’être. J’aime beaucoup les peintures au sol (probablement inspirées des trottoirs brésiliens) de la place Saint-Just (2) et la manière dont a été retapé le bâtiment que nous appelions Le Studio et qui abritait autrefois (je ne suis pas certaine que ce soit encore le cas) la salle de danse. En revanche, les abords de la crèche (5) ont pour le moment un petit coté favela qui donnent une idée de l’absence d’entretien dont a pu souffrir la ZUP pendant une période. Le parvis de La Dalle proche du lycée (3 et 4), a été entièrement rasé après avoir été laissé durant plus d’une décennie dans un état de délabrement navrant. Je me doute bien qu’il n’est pas forcément raisonnable, de nos jours, d’entretenir des bassins et des jets d’eau mais on aurait pu conserver les bancs moulés dans le béton, entretenir les mosaïques et réhabiliter les bassins en espaces verts. J’imagine que ce parvis ne restera pas trop longtemps aussi désert et lugubre, qu’il sera aménagé de manière très décente mais je regrette qu’on n’ait pas mieux cherché à préserver le patrimoine architectural d’origine qui permettrait aujourd’hui d’ancrer le quartier dans son histoire. Je suis triste de ne pas avoir eu le temps de photographier les derniers vestiges du pub avant qu’il ne soit rasé. Dans mon enfance, c’était un endroit chic et je me souviens avec émotion des rares fois où on m’y a emmené. Plus tard, devenue adolescente, j’en fréquentais, comme tous les élèves du lycée, le café. Le dernier vestige dont j’ai pu conserver une trace est la rampe d’accès en béton qui permettait de monter sur la dalle en venant du lycée (6).
En cherchant sur Internet, j’ai tout de même déniché cette photo montrant ce qui restait d’un des bassins avant sa destruction.
On peut admirer ici, sur cette archive du blog Architectures de cartes postales le caractère somptueux de la place telle qu’elle fut conçue à l’origine. On y voit le préau qui courait tout le long de la dalle pour protéger des intempéries les accès aux commerces, des bancs en béton moulé sur le bord du parterre de verdure et même, sur la droite, un petit morceau de la devanture du Pub, avec ses boiseries et ses fenêtres ovales. Derrière la grande barre dont on voit les deux ailes, on aperçoit un morceau de la jumelle survivante de la tour Lucille, qui explosa en 1971 suite à une fuite de gaz.
J’ai poussé ma promenade jusqu’aux abords du nouveau lycée, autrefois Romain Rolland et rebaptisé récemment Julie Victoire Daubié (2), où est désormais scolarisé mon fils. Dans les années 80, les élèves de Montigny-lès-Cormeilles, Cormeilles-en-Parisis et le Val d’Argenteuil étaient tous scolarisés à Romain Rolland, ce qui produisait une grande mixité sociale. Dans les années 90, les Cormeillais ont été scolarisés sur Herblay et les Ignymontains sur Franconville. Depuis l’an dernier, le lycée de secteur pour Cormeilles est à nouveau le lycée du Val d’Argenteuil. Le nouveau bâtiment est agréable. Sue son terrain d’origine se trouve désormais le collège tandis qu’il a été reconstruit à l’emplacement d’un des anciens gymnases qui avait brûlé. L’autre gymnase est toujours debout, avec sa mosaïque abstraite en façade (1). J’espère qu’il ne sera pas détruit. La sculpture La fleur dans la cité, en revanche, n’a pas été épargnée. Je termine mon petit tour en redescendant vers la gare. Le bas-relief sous le pont (3) est encore là, mais jusqu’à quand ? Peint en orange et ocre, il était assorti à l’escalier qui montait vers le pont (4) ainsi qu’au parc qui se trouvait de l’autre coté et qui était caractérisé par ses sièges moulés en béton, peints dans un assortiment vert olive, ocre et orange. Les sièges en questions, dont l’aspect pop me plaisait beaucoup, n’existent plus : le parc (5) a été aménagé avec des bancs en métal et en bois, assez jolis au demeurant, et deux mini-stades cloisonnés par des murs recouverts de fresques peintes, qui empruntent à la culture graffiti, ce qui n’est pas pour me déplaire, mais tiennent aussi d’une esthétique cartoon plus douteuse et non exempte d’une certaine mièvrerie. Je ne sais pas si ces fresques ont été réalisée par des jeunes du quartier ou pas. Je ne les trouve pas nécessairement très réussies sur le plan esthétique mais elles abordent des thématiques variées (milieu aquatique, montagne, jungle, volcan, forêt, milieu urbain) qui conjugué à leur aspect sympathique et coloré, me laissent penser qu’elles doivent être un bon support pour les projections imaginaires des enfants qui fréquentent le parc et qu’à cet égard ils doivent y être attachés.
On peut voir ici la fameuse sculpture La fleur dans la cité, que nous surnommions Le moustique, ainsi qu’une partie des anciens bâtiments du lycée (bâtiment principal à dominante verte) sur cette photo que j’ai, là encore, dénichée sur le blog Architectures de cartes postales. Sur la page en question, une vue de Google street view indiquait pourtant qu’elle était là il n’y a pas si longtemps encore… quel gâchis.
Dernière photo en traversant le pont (1) avant de regagner la gare (2). En longeant le quai, je photographie le poste SNCF (3) qui m’est si familier que je ne l’avais jamais vraiment observé : je découvre la présence d’un barbecue sur la terrasse (4) et me prends à imaginer des petits moments de vie entre collègues de travail. Je gagne le bout du quai, prends une dernière photo de la gare, vue de loin (5), avant de monter dans le train. Je profite de l’occasion pour prendre une vue de l’aménagement intérieur (6) car j’aime beaucoup la manière dont on a réhabilité nos anciens trains de banlieue tandis que la réfection des gares de notre ligne, avec notamment l’installation systématique de portillons, me déplait et me pose question… Voir à ce sujet les articles de Jean-Noël sur le dernier blog : Prison automate, Les machines ne sont pas neutres et Permission de sortie.
En faisant des recherches sur le Val nord, je suis tombée sur divers sources intéressantes sur lesquelles je reviendrais peut-être un autre jour et qu’en attendant, je compile ici.
Les données INSEE
Les pages du site de la ville référençant les différents travaux en cours dans le quartier
Un article sur un livre consacré aux habitants du Val nord, que j’aimerais beaucoup me procurer
Un court documentaire, Val Nord, mon béton, qui fait souvent référence au livre en question et tord le cou aux clichés véhiculés sur la cité.
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