Noël, d’accord. Joyeux, pas sûr. Sur la Dalle d’Argenteuil (Val-d’Oise), un sapin en toc a l’air de grelotter. Le conifère, composé de bouteilles en plastique vides, trône au cœur de la cité. Autour, une grande plaque de béton. L’une des plus visitées de la banlieue par les ministres et autres candidats qui ont pris l’habitude d’y parader sous une forêt de micros et de caméras. « Un tourisme politique » dénoncé par Philippe Doucet, le maire (
PS) de la ville. Car, avec le temps, certaines visites n’ont pas cicatrisé. Sur les murs gris et froids des immeubles qui barrent l’horizon résonnent encore les mots de
Nicolas Sarkozy, assénés il y a six ans déjà, lors d’un passage mouvementé. Sous les huées, celui qui est à la fois ministre de l’Intérieur et aspirant
président s’adresse à une habitante : « Vous en avez assez de cette bande de racailles? On va vous en débarrasser! »
A l’évocation de ce souvenir, Dari, 22 ans, se crispe. « Ça nous a fait du mal, lâche ce vendeur de supérette. A cause de lui, les gens se disent qu’à Argenteuil il n’y a que des racailles. Essaye d’envoyer un CV après ça… »
Autre motif de rancœur, le « comportement des flics », conséquence directe d’après lui du « manque de respect » de l’actuel président. « Tout ça parce qu’on n’a pas des têtes à s’appeler Jean-Luc! » Alors, dans cinq mois, Dari compte prendre sa revanche dans l’urne, en votant François Hollande. « Après, c’est pas sûr que tout change. Mais au moins, il n’y aura plus Sarko. Tous mes potes se sont inscrits! On va voter en force », sourit-il. « Si je pouvais, c’est ce que je ferais aussi », l’interrompt Toufik, 19 ans. Algérien, il n’a pas le droit de vote, mais se montre incollable sur la politique française. Journaux, émissions de télé, ici, tout le monde épluche et commente la moindre petite phrase.
L’antisarkozysme règne sur la Dalle. Abdellah Boudour, 26 ans, dynamique fondateur de Force des mixités, une association de la ville, en veut beaucoup au chef de l’Etat. « Ce n’est pas parce qu’il a mis une Fadela Amara ou une Rama Yade au gouvernement qu’il a amélioré la situation dans les quartiers. Le vrai problème, c’est que personne ne nous représente. » Quant à la couleur de son bulletin, le jeune homme n’a pas encore tranché. « A droite comme à gauche… la seule chose qui change, quand ils arrivent au pouvoir, c’est leur situation personnelle. Ici, rien n’a bougé. » Du menton, il désigne un bloc gris. La cité de la Haie-Normande. « En bas de chez nous, il y a tout. L’école primaire, le terrain de foot, le collège. Comme ça, on reste parqués. On parle tous pareil, on marche tous pareil. C’est ça, la vraie ghettoïsation », souffle-t-il, sombre.
Sur la Dalle, des regards insistants accompagnent les visiteurs étrangers. « Un peu comme dans un village », relativise Claudine, 77 ans, dont plus de trente passés au Val-d’Argent. « C’est bien ici, les gens viennent de partout. Le seul souci, ce sont les incivilités », raconte cette retraitée qui en a vu de toutes les couleurs : « On m’a traitée de salope de droite, on a voulu égorger mon chat, je ne mets même plus de jardinières pour éviter d’attirer les pierres lancées par une bande de voyous! » Une jeune femme passe à ses côtés. « Elle ne travaille pas et attend son huitième enfant. Ah, les allocations… soupire Claudine. La droite, c’est plus sûr pour diriger le pays. Mais pas Marine Le Pen, une vraie raciste, elle me fait peur. » Songeuse, Claudine pose son regard sur le sapin en toc : « Après tout, ça donne un air de fête. » A Argenteuil, il y a pourtant bien longtemps qu’on ne croit plus au Père Noël.
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